FRÉDÉRIC SOUMOIS
L’élargissement aux mineurs de la loi actuelle est examiné à la Chambre. Des critiques sont faites à ceux qui vérifient si les médecins la respectent.
Ils étaient dimanche dernier une grosse centaine pour manifester devant les locaux de la Commission de contrôle de la loi dépénalisant partiellement l’euthanasie. D’autres (ou les mêmes ?) se réunissent régulièrement devant la façade du Sénat pour « veiller » contre la réforme de cette loi. Les opposants à la loi actuelle sur la dépénalisation et contre son extension font entendre leur voix. De plus en plus fort à mesure que se rapproche le vote probable, à la Chambre, de son extension aux mineurs. Mardi, la Commission justice de la Chambre vient de repousser les demandes d’auditions supplémentaires préalablement à l’examen de la loi adoptée en décembre dernier au Sénat, ouvrant la voie à une prochaine adoption.
Leur opposition entend démontrer que la loi actuelle est très mal contrôlée. Et qu’elle permet toutes les dérives, notamment via la présence de membres de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, l’ADMD, au sein de la Commission de contrôle.
Pour Etienne Dujardin, coordinateur des « Dossards jaunes », cette présence est clairement un « conflit d’intérêts » : « Il est normal que la Commission soit pluraliste, mais est-il normal que des membres qui militent ostensiblement pour l’extension d’une loi fassent partie d’une commission de contrôle de cette loi ? De plus, le fait qu’ils soient six dans une Commission de 16 personnes leur permet de bloquer toute dénonciation au parquet, puisqu’il faut une majorité de 2/3 des membres pour le faire. » Pour l’opposant, c’est clairement la raison pour laquelle, en dix ans et 10.000 dossiers déposés par des médecins, aucun n’ait jamais été transmis à la justice. « Aux Pays-Bas, de nombreux dossiers ont pourtant été transmis. Peut-on croire que les médecins belges respectent mieux la loi ? Cela signifie que le contrôle belge est en panne. Nous réclamons que cette limite soit abaissée à 1/3 des membres et que la commission de contrôle soit renouvelée. Par ailleurs, il serait bénéfique que ces mandats ne soient plus renouvelables qu’une seule fois. Nous exigeons aussi que les personnes qui sont membres de l’ADMD démissionnent de cette fonction. Pour nous, c’est comme désigner des représentants d’un brasseur au sein d’une commission qui lutte contre les abus d’alcool. En cause, notamment, des extraits du site internet ou de publications de l’ADMD où celle-ci mentionnait que la présence de ses représentants au sein de la commission servait à «diffuser ses idéaux». » Mention qui a disparu à la suite de premières attaques.
Une série d’attaques auxquelles les responsables de l’ADMD veulent répliquer sereinement : « La Commission de contrôle est composée de 8 médecins, de 4 juristes et de 4 représentants de la société civile. Ils sont le reflet de la diversité politique, via une désignation par le Sénat. Comment imaginer qu’un seul groupe ou une seule opinion en prenne ainsi le contrôle ? », explique Jacqueline Herremans, membre de la Commission et présidente de l’ADMD. « On y agit en tant que personne et l’on doit strictement vérifier que les déclarations envoyées par les médecins sont conformes à la loi. Ce n’est pas l’endroit de débats sur une modification de la loi. Ce qui n’exclut pas des recommandations pour une meilleure application de cette loi, comme, par exemple d’assurer une meilleure formation pour les futurs médecins concernant les questions de fin de vie. »
Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de transfert de dossiers à la Justice ? « Aux Pays-Bas, c’est la justice qui doit par exemple mettre en garde un médecin s’il a enfreint un point de procédure ou employé un produit qui n’est pas recommandé. Ces cas, au nombre de 6 ou 7 par an, sont en général classés sans suite. En Belgique, c’est la Commission qui se charge de ce type de recommandations. Peut-on imaginer qu’un médecin qui n’aurait pas respecté les conditions essentielles de la loi ferait une déclaration à la Commission ? Les décisions à ce sujet sont prises en général par consensus, rarement par vote. Aucun cas soumis à la Commission ne justifiait un transfert à la justice, les conditions essentielles étant respectées. »
Ce qui ouvre un autre reproche à la Commission : manifestement, une partie des médecins qui pratiquent une euthanasie ne fait pas de déclarations. Un médecin a même médiatisé son « absence volontaire de déclaration ». « Nous ne sommes pas des policiers, nous n’avons aucun pouvoir d’investigation. La loi ne le prévoit en aucune manière. C’est une confusion des missions », rétorque Jacqueline Herremans.
Qui estime néanmoins que « le fait d’annoncer publiquement qu’on procède à des gestes d’euthanasie mais sans les déclarer est irresponsable et met en danger les bienfaits apportés par la loi, qui est de mettre des balises et des règles pour un geste qui, par le passé, était parfois posé, mais qui exposait les médecins à une grande insécurité. Le bienfait de la loi, c’est d’apporter une liberté de choix au patient. L’ADMD n’est pas un lobby pro-euthanasie : nous défendons la liberté de choisir. De recourir à l’euthanasie ou de la refuser. De sortir la fin de vie de la clandestinité, du non-dit, afin que cette démarche puisse être réalisée en toute transparence, dans le respect de chacun. Nous n’imposons aucune conception de la vie et de la mort, mais militons pour que chacun puisse choisir sa manière de partir en toute dignité. »
« Pourquoi devrais-je me retirer de la Commission en tant que membre de l’ADMD ? C’est précisément à cause de mon expérience des problèmes de fin de vie que le Sénat m’a désignée. Les avis s’y côtoient, mais ce n’est pas là que le débat d’idées s’engage pour une éventuelle évolution de la loi. Je pense que ces critiques émanent de gens qui estiment que toute euthanasie est illégitime. Qu’une personne de 95 ans atteinte d’un double cancer de l’estomac et de l’intestin ne peut pas demander de mettre fin à sa vie. C’est leur droit de le penser ainsi. Mais qu’ils n’imposent pas leur choix aux autres. Ni aux 75 % de Belges qui, à la veille de la dépénalisation en 2002, se disaient partisans d’une dépénalisation partielle de l’euthanasie. Contrairement à ce qu’ils laissent croire, ces gestes ne sont jamais anodins, c’est une tâche lourde et difficile. Le récit de ces maladies et de ces souffrances est éprouvant, mais il est indispensable pour que la loi soit appliquée correctement. Faire croire qu’elle est mal contrôlée pour entraver une éventuelle extension de la loi, ce n’est pas une manière correcte de mener un débat sur la question de fin de vie. Lors de la manifestation de dimanche dernier, on a fait huer mon nom. Est-ce une manière correcte de mener le débat démocratique ? »