Au-delà d’un âge limite, qu’elle suggère de fixer à 80 ans, « celles et ceux qui arrivés au bout du chemin d’une vie accomplie souhaitent y mettre fin le plus sereinement possible » pourront se voir proposer des barbituriques. Plus qu’une euthanasie, ce serait un suicide assisté, le médecin restant à disposition en cas de problème (si le vieux ne meurt pas bien ?).
Difficile de cacher le dégoût profond que m’inspire une telle proposition, qui m’oppresse encore plusieurs heures après. Et avec lui, l’effroi et la crainte : en Belgique, où les partisans de l’euthanasie occupent presque sans partage le débat public, l’ADMD a somme toute obtenu tous les élargissements qu’elle a pu souhaiter, jusqu’à l’euthanasie des enfants. Demain, sans nul doute, la mort des vieux. Et puis cette certitude : si la Belgique est plus avancée sur le chemin de la dilution individualiste, l’assistance au suicide des vieux sera bientôt à l’agenda officiel de l’ADMD française. Il y est déjà, discrètement.
Quel plus évident aboutissement de la dissolution libertaire de nos communautés que celui-ci ?! Voilà donc notre dernière attention à nos vieux. Faute de nous en occuper, tout à nos destinées individuelles et à nos épanouissements personnels, nous leur donnerons les barbituriques. Une société peut se fixer pour objectif de garantir l’inclusion des personnes âgées dans la société, de leur redonner le goût de la vie s’ils venaient à le perdre, elle peut aussi mener ce « nouveau débat de société » : les aider à se suicider.
Pourquoi faut-il donc que les effets pervers de la loi soient toujours tant négligés lorsqu’il s’agit d’euthanasie ? Pour chaque projet, chaque débat législatif, il se trouve des contradicteurs pour les invoquer jusqu’à l’excès et l’immobilisme. Comment imaginer que lorsque la vie et la mort sont en jeu, nous fassions alors preuve d’un tel aveuglement ? Une Jacqueline Herremans, un Jean-Luc Romero, se réfèrent à une personne fictive. Elle est éclairée, libre, d’une liberté formelle et intérieure, elle est sereine, forte et déterminée. Étrangement d’ailleurs, avec tout cela, elle veut se suicider. La réalité sera au moins aussi souvent cette petite vieille isolée, qu’inquiète d’ailleurs la perspective d’une hospitalisation prochaine entre les mains d’un de ces Bonnemaison qu’ils soutiennent. Isolée, abandonnée, elle n’a plus le moral : on lui propose de se suicider. Ainsi retrouvera-t-elle peut-être un peu d’attention de leurs enfants, un peu de présence et, pourquoi pas, dans leurs regards, un peu de considération pour mamie qui refuse d’être un fardeau et prend sa fin en main.
Qui me prétendra que ce tableau est illusoire ?!
Et demain, cet entretien avec un psy qu’elle évoque, il sera abandonné. Parce qu’il en est ainsi ici, il se trouvera des militants pour proclamer que cet entretien est « infantilisant », qu’il impose un délai inutile alors que la personne est en demande. Et demain, le plafond qu’elle s’est incroyablement crue autorisée à fixer – 80 ans, c’est le bout du chemin – sera abaissé. En attendant que ces précautions soient rendues superflues par la satisfaction de cette revendication qu’ils n’assument pas encore : le suicide assisté pour tous à tout âge. Mais commençons par les vieux.
Il faut se lever pour ceux qui ne se réveilleront pas. Ces gens ont oublié que la loi est là pour protéger le faible, pas pour consacrer les plus forts dans leurs trajectoires individuelles, leurs destinées isolées et nos vies séparées. Tout est lié, vous dit-on. Et la logique à l’oeuvre ici est la même que celle qui dissout nos sociétés, les stérilise, les dévitalise, et les rend perméables à toutes les agressions. C’est celle de l’exaltation des droits individuels, d’un vivre ensemble qui n’est qu’un vivre à côté, un vivre isolés, libre de ne pas emmerder les autres, libre de finir seul, sans amour ni fraternité. Celle d’une société qui desserre les coudes, creuse ses failles, des béances, dans lesquelles s’insinuent les menaces, s’engouffrent ceux qui jouent collectif. Il faut se lever pour ceux qui ne se réveilleront pas. Il faut se lever pour nous. Nous. Défendre sans complexe, contre les droits individuels opposés à tous, le destin collectif, la fraternité, le bien commun. Ou un jour nous ne nous réveillerons plus.