La vie et la famille, dons de Dieu
Cette vie qui vient de Dieu, nous l’avons reçue au sein d’une famille qui est pour tout être humain le lieu primordial, malheureusement parfois blessé par les épreuves de la vie ou les fragilités personnelles, mais bien le lieu primordial de l’expérience humaine. C’est là, qu’entourés de notre père et de notre mère, de nos frères et sœurs, de nos grands-parents, des cousins, des amis, nous trouvons le milieu vital qui, toute notre vie, sera celui des plus grandes joies, des plus fortes solidarités et aussi des plus profondes préoccupations. Oui, la famille est cette cellule de base de toute vie sociale. Le cardinal Vingt-Trois et moi-même, nous venons de participer au Synode extraordinaire sur « les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’Évangélisation ». Même si les défis se déclinent sous le mode de la grande diversité, la famille apparaît sous toutes les latitudes comme cette cellule de base de la vie en société, comme celle aussi de l’Église. Nous aimons l’appeler « Église domestique ». Le Synode a redit la grandeur de la famille humaine, fondée sur l’alliance d’amour entre un homme et une femme, vécue dans la fidélité, capable de traverser les épreuves grâce au dialogue et au pardon, accueillante à la vie reçue comme un don et non revendiquée comme un droit. L’amour véritable est une responsabilité assumée, un roc solide sur lequel s’appuyer et non la succession d’aventures passionnées vouées à une errance insatiable.
Dans l’expérience humaine de la famille, nous sommes accueillis comme un don, même si nous sommes porteurs d’éventuels handicaps. Nous sommes aimés fidèlement et généreusement. Nous faisons l’expérience de la joie, du pardon, de la solidarité. La réussite de la famille demande que chacun recherche le bonheur des autres avant le sien propre. Oui, elle est vraiment porteuse de vie parce qu’en elle, se jouent les solidarités élémentaires et nécessaires à toute vie humaine. Les sociétés l’ont bien compris ! Certaines s’appuient sur elle et la soutiennent pour bâtir leur avenir. D’autres la fragilisent, la réglementent, la soumettent à des projets pensés par quelques-uns. Dans notre pays, la famille jouit d’une image heureuse et le projet d’en fonder une demeure le désir le plus fort. Les enquêtes d’opinion le manifestent. Au sein de l’Europe, nous sommes enviés par beaucoup pour ce goût de transmettre la vie à des générations futures, signe d’un bien-être et d’une sagesse éprouvée. L’Eglise voit avec joie de jeunes adultes s’engager dans la vie familiale, dans la voie du mariage et affirmer de multiples manières au nom de leur foi que la famille est une richesse pour la construction de la personne et la cohésion de la société.
La famille fragilisée
Même si on doit se réjouir d’évolutions positives à amplifier encore – comme celle de l’égalité entre hommes et femmes, celle du choix libre du conjoint – ces dernières décennies manifestent néanmoins une fragilisation réelle de la vie familiale. Le développement d’une culture individualiste peu soucieuse des répercussions sur les autres des choix personnels, la soumission désordonnée à la force des sentiments et à la recherche du plaisir, l’immaturité affective peuvent conduire à des égoïsmes irresponsables, à des comportements violents, à un usage à courte vue des progrès techniques. Tout cela contribue à fragiliser la vie d’un trop grand nombre de familles.
S’est ajoutée encore la mise en œuvre d’une culture qui se laisse emporter par la définition sans fin de nouveaux droits individuels sans toujours prendre la mesure des conséquences négatives sur la conception de l’homme et les nécessaires solidarités d’une vie sociale. Ainsi la recherche légitime de progresser dans l’égalité entre hommes et femmes dans nos sociétés est allée jusqu’à faire droit à des conceptions philosophiques militantes qui nient la belle complémentarité porteuse de vie entre l’homme et la femme, inscrite dans la nature même de chaque être humain. L’égalité est vue comme une absolue neutralité insignifiante. Un modèle unique et néfaste veut s’imposer et sa transmission aux enfants s’organise sans l’accord des parents, pourtant premiers responsables de leur éducation. La nature même du mariage a été bouleversée. Au lieu de trouver des solutions adaptées à des questions posées par des situations particulières, on veut légiférer comme si on devait imposer à tous ce qui est revendiqué comme utile ou légitime pour quelques-uns. Et cela souvent au mépris des plus faibles, d’une part des enfants dans le début de leur vie et d’autre part dans un autre domaine des malades ou des vieillards au terme de leur existence.
L’Église rappelle sans se lasser la dignité inviolable de l’être humain depuis sa conception et jusqu’à sa mort naturelle. On ne peut l’instrumentaliser ni le considérer comme un objet ou un bien qu’on se procure selon son propre désir. Ainsi nous voyons le grave risque humain qu’il y aurait à s’engager sur le chemin de la procréation médicalement assistée pour répondre à la revendication du droit à l’enfant. Quant au recours à la gestation pour autrui, il est manifeste qu’on entre dans un processus qui considère l’enfant comme un quelconque bien de consommation. Cette pratique fait peu de cas du contexte humanisant qui consiste à garder liés dans le don mutuel conjugal et familial la conception et le temps de la grossesse. Et que dire de la demande faite à une femme de porter un enfant sans s’y attacher comme si la maternité était un acte banal ou à vocation commerciale? On ne peut reconnaître là un progrès humain pour nos sociétés.
Quant à la fin de vie, nous nous sommes déjà exprimés sur notre conviction que l’accès aux soins palliatifs devait être rendu possible et effectif. Ils offrent un environnement médical et une qualité de présence humaine qui permettent à chacun d’être accompagné jusqu’au bout de sa vie plutôt que de succomber à la tentation d’y mettre fin. C’est en s’appuyant sur les compétences médicales pour traiter la douleur et sur les solidarités affectives et relationnelles que peut se dessiner le chemin le plus humain. Un groupe de travail au sein de notre Conférence s’est constitué pour contribuer activement aux débats en cours dans notre société.
Comment soutenir la vie des familles ? Comment soutenir la croissance des enfants ? Comment soutenir les personnes en fin de vie ? Aucune loi, aucun droit individuel ne pourra remplacer la solidarité, la présence affectueuse, le soutien mutuel, le don de soi, le sens des responsabilités, surtout si c’est pour, à la place, promouvoir ou permettre la perspective d’en finir avec la vie, d’en finir avec les responsabilités qui nous lient les uns aux autres et qui font pourtant notre grandeur.
Comment soutenir la vie des familles sinon en offrant à chacune les conditions d’une vie possible sur sa terre ancestrale où l’accès au travail, au logement, à l’éducation, à la sécurité, à la santé est assuré à tous ? C’est malheureusement l’absence de ces conditions-là qui affecte de manière évidente et massive la vie d’un grand nombre de familles dans notre pays comme dans le monde entier.
Ce sont les solidarités familiales, nationales, internationales, mondiales qui peuvent seules contribuer à mettre en place les conditions d’une vie toujours plus humaine, plus juste, plus fraternelle. Il revient aux responsables politiques de les mettre en œuvre avec intelligence et détermination avec le souci de veiller à la cohésion nationale. Il revient à chaque citoyen de s’ouvrir à la recherche du bien de tous, en commençant par celui des plus défavorisés. L’Église elle-même se sait appelée à accompagner de sa présence la plus proche les familles qui connaissent de grandes souffrances.
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