La scène peut prêter à sourire, mais les raisons invoquées ne donnent elles pas écho à nos arguments pour limiter notre charité?
- Et avec notre bon sens ... aussi. Les femmes Monsieur Vincent savent ce qui est possible et ce qui n'est pas possible. [...] Les hommes feraient moins de bétises s'ils les écoutaient plus souvent.
- Madame la Présidente !
- Le mot a dépassé ma pensée, Monsieur. Excusez-moi.
- Non, je l'accepte, Madame Rousseau. Je suis content de manquer parfois un peu de bon sens. On fait, en vérité, par bon sens autant de péchés que par folie. D'autres péchés, voilà tout.
- Nous attendons maintenant votre réponse, Monsieur Vincent.
Saint Vincent sort un bébé de son manteau et le pose sur la table.
- Que cela, Monsieur ?
- Ma réponse.
Vous trouvez que j'entreprends trop? Moi, je pense que je n'entreprends pas assez. J'ai sauvé cet enfant ce soir, mais il en meurt trois ou quatre, innocents, comme lui, chaque nuit au porche de chaque église.
- Dieu veut qu'il meure, peut-être, Monsieur. Ce sont les enfants du péché.
- Quand Dieu veut que quelqu'un meure pour racheter le péché c'est Son Fils, Madame, qu'il envoie. Dieu n'a pas voulu qu'un seul innocent meure au nom du péché. C'est la lâcheté, l'incurie, l'indifférence, le vice caché des hommes qui accepte.
- Monsieur Vincent, je vous respecte, mais je ne vous suivrai pourtant pas partout. Je hais le péché, je hais le vice et si grand soit votre amour de la charité, il ne me les fera pas aimer. Cet enfant du péché et du vice, je le hais.
- Dieu vous écoute, Madame la présidente.
- Dieu ne peut pas l'aimer non plus.
- Je ne vous permets pas d'en juger ! Je sais, moi, que Dieu me demande de sauver cet enfant innocent avant toutes les autres misères. Je sortirai demain, je sortirai toutes les nuits. Je vous en apporterai d'autres sur cette table. Vous les regarderez se débattre et vous demander la vie. Et nous verrons bien si vous les laisserez mourir.
- Monsieur Vincent ! Nous sommes déjà bien chargées, nous vous l'avons dit [...]. Elles ne peuvent plus.
- Puisque Dieu le leur demande, elles pourront davantage.
- Nous vous parlons le langage de la raison.
- C'est moi qui vous l'ai parlé le premier, ce langage ! Je vous ai toujours dit qu'il ne fallait pas enjamber sur la marche de la Providence. Mais ce soir, je ne vous le dis plus. J'ai peur d'être ... terriblement en retard sur elle.
- Monsieur Vincent ! Pour recueillir ces enfants, il y a une institution, la Couche. Elle paie des nourrices pour les élèver. Vous ne le savez pas?
- Je ne sais pas ce qui a été fait pour les enfants perdus, je sais seulement que si je n'avais pas suivi cette femme ce soir, cet enfant serait couché dans une auge à la porte d'une église, qu'il serait mort maintenant.
- Nous avons assez de gens contre nous, Monsieur Vincent. Les chanoines de Notre Dame et les juges de Paris ont soin de cet oeuvre. Si nous empiétons sur leur domaine nous nous attirerons leur haine.
- Mais non, Madame! Quand je viendrai devant mon Juge, seul, croyez-vous que je lui dirai : "J'ai assisté à ces crimes mais je n'ai pas osé intervenir pour ne pas m'attirer les foudres des chanoines du chapitre et des juges de Paris qui les laissent commettre ?"
- Vous ferez ce que vous voudrez, Monsieur. Je suis sûre, moi qu'aucune des honnêtes femmes ici présentes ne voudra souiller ses mains de mère à soigner ces petits misérables et rentrer, toucher ses enfants à elle le soir.
Consternation de Saint Vincent
- Ne demandez pas plus, Monsieur Vincent. Ne demandez pas trop. Ce que vous voulez entreprendre là, va contre trop de répugnances.
- [réponse douleureuse de Saint Vincent:] Vous aussi ...
Tous les visages sont penchés et personne ne le regarde.
- Mais il n'y aurait donc pas un visage ...
Mademoiselle de Marillac...
- J'ai honte. J'ai honte, mais ils me font horreur aussi.
- Madeleine...
- C'est laid, le péché, Monsieur Vincent, c'est trop laid !
- Vous aussi...
Je n'y arriverai jamais, non. J'ai été un fou de croire que je pourrai émouvoir vos âmes... Vous sortir de votre immonde solitude.
Le bébé pleure
- Oh, je vous en supplie, osez au moins me regarder ! Faites-moi l'aumône d'un regard ! Que je ne sois pas aussi seul... Je n'y arriverai jamais, je n'y arriverai jamais !
Et pourtant, il y est arrivé et est aujourd'hui reconnu comme un exemple de charité et de secours!