Enfant, alors que la plupart des petites filles de son âge pépient comme des oiseaux, elle ne sait prononcer clairement qu’un seul mot : « Papa ». Est-ce ce mot qu’Anne, âgée de cinq ans, prononce assise sur les genoux de son père ? Le cliché a été pris en Bretagne en 1933. La même année, Adolf Hitler est nommé chancelier d’Allemagne. Mais, à cet instant, Charles De Gaulle n’est qu’un père attentif et heureux, tout entier concentré sur celle qu’il appelle « ma joie ». Anne est née en 1928 atteinte du syndrome de Dawn : la trisomie 21. L’accouchement d’Yvonne de Gaulle a été difficile et douloureux. Anne en gardera des séquelles qui lui rendront la marche difficile. Mais celui qui n’est pas encore le grand Charles et son épouse voient en cette enfant une bénédiction : Anne « était aussi une grâce, elle m'a aidé à dépasser tous les échecs et tous les hommes, à voir plus haut » dira-t-il en 1940.
’infinie fragilité de la petite fille a nourri la force du général. Pour elle, le militaire inflexible devenait un soldat discipliné, incapable de dire non à ses exigences et prêt à tout pour la protéger. Alors qu’il est en poste à Metz, à la veille de la grande tragédie de la Seconde Guerre Mondiale, De Gaulle demande que l’on ouvre les grilles du jardin botanique dès 7 heures du matin quand le temps est clément.

Georges Anne meurt à 20 ans, en 1948, d’une pneumonie dans les bras de son père. Le chêne est foudroyé. A la fin des funérailles, à Colombey-les-Deux-Églises, De Gaulle est debout devant la tombe, le visage plongé dans ses mains. Le prêtre se souvient de cet instant où l’homme qui avait sauvé l’honneur de la France, le grand soldat qui avait affronté la barbarie nazie n’est plus qu’un père inconsolable : « Je me suis agenouillé pour prononcer une prière. Quand je me suis relevé, il a fait deux pas vers moi et il s’est littéralement effondré sur mon épaule. Peut-être étions-nous ridicules : Sancho Pança soutenant Don Quichotte ». Quelques instants plus tard, alors que le corps d’Anne vient d’être inhumé, Charles et Yvonne se recueillent devant la tombe de leur fille. Il pose sa main sur le bras de son épouse et lui murmure : « Maintenant, elle est comme les autres. » Plus jamais, le souvenir d’Anne n’a quitté le Général. Elle lui a même peut-être sauvé la vie le 22 août 1962, lors de l’attentat du Petit Clamart : Une balle a été déviée par le cadre de la photo d’Anne qu’Yvonne emportait toujours et partout. Anne vit encore à travers la fondation Anne de Gaulle, fondée par Charles et Yvonne pour offrir un toit et des soins aux jeunes filles handicapées sans ressources. Quand le général de Gaulle est mort, le 9 novembre 1970, il a été inhumé aux côtés de sa fille. Pour l’éternité, son « papa » veille sur elle.